C'est quoi la Voyance, être une Voyante? Quelques questions autour de mon livre "Journal d'une Voyante"...

Dans Au-delà, film de Clint Eastwood, l’acteur Matt Damon incarne un médium très doué, mais qui est à bout et a donc cessé d’exercer son métier. C’est un choix de scénario très habile: le personnage s’inscrit tout de suite en faux contre l’image du charlatan qui profite cyniquement de la crédulité de ses clients. Ainsi on croit plus facilement à son authenticité.
Il y a quelques années, la voyante et «médium pure» Nathaly Bloch a été agressée par l'un de ses clients, un industriel. C’était un habitué, elle lui a ouvert la porte malgré un mauvais pressentiment. Il avait bu, il n’a pas supporté une prédiction. Elle s’est retrouvée à l’hôpital. Rien de grave physiquement, mais elle se réveille frappée d’amnésie. Incapable de reprendre ses consultations.
Heureuse coïncidence ou coup de pouce du destin? Bien sûr, aujourd’hui, elle penche plutôt pour le destin. Parce qu’elle n’en pouvait plus, elle aussi, à ce moment-là. Burn-out, envie de mourir. Voyance terminée. Trop de pression, d’attentes, de critiques. «J’étais soit haïe, soit adorée», raconte-t-elle dans son Journal d’une voyante, paru aux Editions Favre à Lausanne. Pourquoi Favre? Parce que cet éditeur qui explore volontiers le paranormal est connu pour ça dans le milieu, en France. De plus, une amie médium lui a annoncé qu’elle publierait en Suisse...



Le livre est volontairement flou: noms, dates et chronologie modifiés. Elle y raconte sa convalescence, ses voyages, elle expose une quête familiale et décrit son métier. Enfin elle a trouvé le temps d’écrire, cette pause forcée lui en a donné l’occasion. Le temps aussi de retraverser ce qu’elle a écrit dans des cahiers depuis l’enfance. D’ailleurs, quand encore amnésique, elle relit «ces lignes de souffrance», elle se sent «soulagée d’avoir dû abandonner la voyance. Trop d’années à courber le dos, à patiemment écouter, à supporter ce déferlement de sensibilités à vif, ces insatisfactions, ces déceptions, ces revendications irréalistes.»
Ses journées s’achevaient après 20 heures, ses soirées étaient prises par les messages téléphoniques et les courriels en attente de réponses. «Durant des heures, écrivait-elle, je dois éclairer, conseiller, répondre, clarifier. Durant ces heures d’affilée, il n’est souvent question que de trahison, de divorce, d’adultère, de licenciement, de surendettement, d’expulsion...»
Alors, pourquoi exercer à nouveau ce métier? Et pourquoi y a-t-il environ 100'000 cabinets de voyance en France (il n’y a pas d’évaluation fiable en Suisse)?
«Je fuis ces vampires assoiffés d’avenir.»
Dans son appartement d’un quartier chic de Paris, c’est une femme sûre d’elle et énergique que je rencontre. Elle parle vite, elle répond instantanément aux questions. Pas de foulards colorés ou de bagues criardes, pas de décor surchargé. Par contre, un peu partout, des images et statues de paisibles Bouddhas. Elle a réduit ses horaires. Elle refuse des clients, elle les trie à leur voix. Quant à son agresseur, elle ne l’a pas revu, malgré ses demandes répétées, mais elle ne lui en veut plus.
Oui, elle est heureuse d’exercer à nouveau ce métier «fabuleux». Même s’il y a encore «des moments où je suis fatiguée, où j’en ai marre de servir de punching-ball à des gens qui souffrent. Si je disais tout le temps que c’est génial, je ne serais pas sincère!» Sa vie sociale est limitée, elle n’accepte plus les dîners en ville, les cocktails et les brunchs pour «fuir tous ces vampires assoiffés d’avenir.»
Le problème, c’est que «quand vous êtes voyante, vous n’êtes finalement pas grand-chose, vous êtes majoritairement réduite à cela: je te présente ma copine voyante. Un jour, j’étais invitée chez une notaire parisienne. C’était censé être un dîner de filles et je me suis retrouvée avec une dizaine de gonzesses autour de moi qui m’attendaient... Elles avaient eu la gentillesse de mettre des petits trucs à manger sur la table, mais elles étaient toutes là pour une seule chose. Parce que la personne qui invitait avait dit, mais pas délibérément, que j’étais voyante.»
La vie de médium, insiste-t-elle, est austère. Isolement, méditation, ne pas lire ou regarder la télévision «pour ne pas embrouiller ses flashs», rester des heures assise dans un état de transe, «se taper jour et nuit des défunts volubiles et leurs révoltes quand on les ignore, rester zen face aux consultants en crise. Non, franchement, la voyance ce n’est ni Dallas ni Las Vegas ni Miami Vice.» Mais elle aime le contact quotidien avec l’au-delà: «La mort m’accompagne, et je suis beaucoup plus à l’aise émotionnellement à parler avec les défunts que face à une personne qui attend que je lui annonce son avenir.»
«Les gens ont besoin de savoir. La voyance leur apporte une aide.»
Sur la valeur de son métier, elle n’a aucun doute. Elle se pose d’ailleurs peu de questions, elle ne s’est jamais demandé pourquoi ce don, pourquoi elle, quel sens cela peut avoir de prédire l’avenir, ou quelle influence manipulatoire ça risque d’exercer sur la vie des gens. Non, elle n’a même pas posé ces questions aux défunts. Il lui arrive tout de même de demander à ses clients: «À quoi bon savoir ce qui vous attend?» Quand une histoire d’amour débute, n’est-ce pas merveilleux, pourquoi demander déjà si elle va durer? Parfois elle doit esquiver. «Si je sens que la relation ne va pas continuer jusqu’à la fin de leur vie, je dis: pour moi, ça va durer, je ne vois pas la fin.»
Son unique restriction consiste à ne jamais donner de prédictions de mort ou de maladie. Autrement, elle est juste là pour transmettre. «Si une question m’est posée, ne dois-je pas répondre? Les gens ont besoin de savoir. Ils ont leur carte d’état-major, ils veulent savoir ce qu’il y a dans le pays où ils sont en train de pénétrer. La vocation de la voyance, c’est d’apporter une aide aux gens. De toute façon, il est rare que cela influence leurs décisions.»
Les questions de sens, de toute façon, elle n’a «pas eu le temps» de se les poser dans la mesure où son don s’est manifesté très tôt. A deux ans, raconte-t-elle, elle se perd dans une forêt et revient «grâce à quelqu’un que mes parents ne voyaient pas».
A trois ans, elle fait des sorties hors de son corps; ça ne dure pas parce que «finalement ces voyages se révèlent assez lassants». A douze ans, elle entre pour la première fois en contact avec des défunts, dialoguant avec sa grand-mère maternelle. Elle est désormais l’attraction familiale, on la sollicite aux repas, elle se trompe rarement. Mais pas question encore d’en faire un métier, elle suit des études de droit.
Quelques semaines avant de passer le barreau, elle rencontre «un acteur célébrissime» et lui fait des prédictions. Il se met à lui envoyer ses amis artistes. Ainsi, commence sa carrière.
«Mes visions sont comme des particules qui volent autour de moi.»
Nathaly Bloch est à la fois médium et voyante. Ce sont deux activités qu’elle distingue soigneusement, qu’elle ne mêle pas au cours d’une même séance. Le dialogue avec des défunts éveille trop d’émotions, la voyance a besoin de tranquillité. La médiumnité demande une certaine mise en scène; la voyance, «vous pouvez être chez le boulanger, quelqu’un vous prend la main en demandant si la personne aimée va revenir, vous pouvez répondre instantanément».
Mais sa spécificité, dit-elle, c’est qu’elle fait partie des rares voyants convaincus de recevoir leurs messages des défunts.
Ce qu’elle reçoit n’est pas précis et demande un effort d’interprétation. Parce que ses visions, écrit-elle dans son livre, sont «comme des particules qui volent autour de moi: images, sons, odeurs, sensations... Je les compare à des météorites, rapides et aléatoires.»
C’est particulièrement délicat quand il s’agit d’amour: «Le médium ressent, pressent, mais ses visions se déclenchent souvent dans le désordre et parfois de manière incohérente. On entend des bruits, des voix. On visualise des visages, des lieux, des scènes, comme dans un film. Des bribes de mots ou des phrases entières s’inscrivent dans notre cerveau. On sent des odeurs, notre peau est traversée d’un flot d’émotions. Le véritable enjeu d’une voyance dans le domaine affectif est de remettre en ordre tous ces petits détails, précis ou flous, et de les traduire en prédictions. Alors bien entendu, on peut confondre, on peut se tromper, on peut même échouer dans ses voyances affectives.»
Quelle différence entre les voyants et tous ces consultants qui dans l’économie donnent des conseils souvent pertinents, mais parfois se trompent? Nathaly Bloch se dit rationnelle et pragmatique. La voyance n’est «pas une science exacte», elle est souvent faillible, et la voyante elle-même ne sait pas «pour quelles raisons certaines prédictions se révèlent exactes à 90% et d’autres à 20%». Mais elle ne compte plus, dit-elle, les appels de clients qui lui annoncent qu’elle avait raison et qu’ils auraient mieux fait de l’écouter...
«Je suis enceinte, comme vous me l’aviez annoncé.»
Le don, pour elle, ne s’apprend pas. On sait si on l’a. Dans le métier, il y a de tout, des bons voyants comme des charlatans. Ceux qu’on voit sur des chaînes de télévision, aux paroles suaves, avec leurs cartes et boules de cristal? «Ils peuvent être de bons voyants en privé, mais je crois qu’il est impossible de pratiquer à la télé, comme ça, à la chaîne.»
Serait-elle en mesure de me dire ce que je vis actuellement? Oui, il faudrait juste qu’elle se mette en connexion, ce serait instantané, mais elle ne veut pas le faire. Plus question d’être mise à l’épreuve. C’est ce qui lui a valu sa descente aux enfers il y a quelques années: testée en 2009 par le site aufeminin.com, elle fut élue meilleure voyante de France. «Bien entendu, j’ai éprouvé une immense fierté de ce titre, mais j’ai été rapidement happée par une lame de fond.» Sursollicitée et victime de commentaires violents sur internet.
Le canal restera donc aujourd’hui fermé au journaliste. Elle se protège. Comme elle l’a fait à l’âge de 23 ou 24 ans quand, raconte-t-elle, elle entendait tout ce que les gens pensaient. A une fête, une réception, elle entendait un capharnaüm de lessives à ne pas oublier, d’égos inquiets ou de désirs explicites… Alors elle a «fermé son don de télépathie», qui devenait insupportable et nuisait à sa voyance.
Pas de test, donc, mais Nathaly Bloch ne résiste pas à la tentation de me montrer un texto qu’elle a reçu la veille. D’une femme qui l’a consultée il y a un an et qui avait envie d’enfants. «Je lui avais dit qu’elle tomberait enceinte à la quatorzième fécondation in vitro.»
Elle me montre le texto, il a l’air authentique, je le lis: «Nous nous sommes parlé en mai 2014 lorsque je souffrais de mes échecs de FIV à répétition et vous m’aviez dit que je serais enceinte en mai 2015, je tenais à partager ma bonne nouvelle avec vous, même si c’est le tout début, je suis enceinte de presque quatre semaines, au bout du quatorzième essai, le miracle de la vie!»

Commentaires

  1. Instructif. C'est étrange de réentendre votre voix, ça me transporte 1 an 1/2 en arrière, lorsque je vous ai consulté, en partie car j'appréciai votre blog! :)

    Bonne journée à vous.

    B.

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  2. Chère Nathaly,
    En tant que consultante, je confirme ce que vous dites : vous n'influencez pas. Ce qui doit arriver arrive.
    Pour ma part, vous consulter c'est avoir un éclairage, une vision des choses que je n'ai pas forcément appréhendée, et cela est d'une grande aide quand on n'a plus le recul nécessaire.
    Et puis, que la réponse à une question que l'on se pose soit bonne ou mauvaise, que tout arrive ou non (enfin, ça arrive quand même à 95 % ;) elle est bénéfique car elle aide à passer à autre chose et à arrêter de se triturer le cerveau, on relativise... et ça, ça vaut de l'or !
    Anne-Sophie

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